Lettre ouverte au ministre de l’immigration
La Coordination française pour le droit d’asile rassemble les organisations suivantes :
ACAT (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture), Act-Up Paris, Amnesty International France, APSR
(Association d’accueil aux médecins et personnels de santé réfugiés en France), Association Primo Levi (soins et
soutien aux personnes victimes de la torture et de la violence politique), CAAR (Comité d’Aide aux Réfugiés),
CAEIR (Comité d’aide exceptionnelle aux intellectuels réfugiés), CASP (Centre d’action sociale protestant),
Cimade (Service oecuménique d’entraide), Comede (Comité médical pour les exilés), Dom’Asile, ELENA
(Réseau d’avocats pour le droit d’asile), FASTI (Fédération des associations de soutien aux travailleurs immigrés),
France Libertés, GAS (Groupe accueil solidarité), GISTI (Groupe d’information et de soutien des immigrés),
LDH (Ligue des droits de l’homme), Médecins du Monde, MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié
entre les peuples), Secours Catholique (Caritas France), SNPM (Service National de la Pastorale des Migrants).
La représentation du Haut Commissariat pour les Réfugiés en France et la Croix Rouge Française
sont associées aux travaux de la CFDA
Calais : les mauvais traitements infligés aux migrants
et les entraves à l’action humanitaire doivent cesser immédiatement
Courrier adressé Monsieur Eric Besson, Ministre de l’Immigration - 16 février 2010
Monsieur le ministre,
La Coordination française pour le droit d'asile (CFDA) tient à vous faire part de sa plus profonde
indignation quant aux pratiques des autorités françaises à l'égard des migrants du Nord-Ouest de la
France et de son inquiétude quant aux conséquences de celles-ci sur leur intégrité physique et mentale.
En septembre 2008, dans son rapport « La loi des ''jungles'' - La situation des exilés sur le littoral de
la Manche et de la Mer du Nord - », la CFDA décrivait la situation précaire de ces personnes et faisait
dix-neuf recommandations aux autorités françaises.
Un an plus tard, vous avez voulu « démanteler » les ‘jungles’ et la situation des migrants présents dans
la région va en s’aggravant depuis cette opération, comme le constate lui-même le Haut Commissariat
des Nations unies pour les réfugiés, présent sur place pour venir en aide aux réfugiés.
En effet, depuis de nombreuses semaines, les forces de police se rendent coupables d’atteintes
sérieuses et graves à la dignité et à l’intégrité des migrants.
Chaque jour, chaque nuit, en agissant sur ordre des autorités administratives françaises, elles
empêchent les migrants, dont de nombreux mineurs, de dormir en les délogeant systématiquement des
lieux où ils peuvent tenter de le faire, que ce soit des abris de fortune en pleine nature ou des tentes.
Des témoignages concordants font état de pratiques consistant à déchirer les duvets des migrants, et ce
alors même que le froid sévit.
Cette pression constante, qui finit par priver ces personnes du besoin essentiel de repos et les expose
sans protection à la rigueur du froid, aggrave leur situation déjà extrêmement difficile et n'a plus rien à
voir avec une politique digne et respectueuse des êtres humains.
L’action des associations est par ailleurs entravée. En effet, une partie du matériel de survie distribué
aux migrants est régulièrement confisqué ou détruit par la police.
Monsieur le ministre, vous connaissez la situation, vous avez validé les instructions données aux
forces de police. Vous êtes responsable du drame humain quotidien qui en découle. Nul désormais
parmi les autorités administratives ne peut l'ignorer.
Tant que vous continuerez de ne penser qu'en termes de "flux", "d'appel d'air", ''d'arrivées massives'',
de "clandestins'' et de "réseaux'', cette situation, comme d'autres potentiellement, continuera de
perdurer, parce que les êtres humains, les vies humaines sont parfaitement occultés de toutes les
décisions.
L'Etat français a l'obligation de protéger les personnes présentes sur son territoire en s'abstenant de
leur infliger des conditions de vie indignes et inhumaines, quel que soit leur statut. Il a l'obligation de
protéger particulièrement les personnes qui fuient les persécutions et recherchent une protection. Les
textes internationaux qu’elle a signés le lui imposent. Le ministre de l'Immigration en est par définition
l’autorité responsable et devrait d'urgence s'en souvenir.
Contrairement au message que votre ministère et les autorités françaises diffusent régulièrement en
direction du grand public, ces personnes, hommes, femmes et de plus en plus d'enfants seuls, sont
avant tout des êtres humains qu'il est impératif que les autorités traitent et respectent comme tels.
Nombre d’entre eux ont fui leur pays du fait des violences et des persécutions subies. Ils sont aussi
pour la plupart désireux d'entrer dans une procédure légale pour que leur statut et leur histoire soient
reconnus et pour être protégés comme la loi le prévoit.
Dans son rapport de septembre 2008, la CFDA rappelait que « le respect de la dignité de toute
personne se traduit au quotidien par un ensemble de droits. Les migrants ne sont pas exclus de la
protection de ces droits. Leur statut administratif ne peut et ne doit pas constituer un prétexte pour ne
pas respecter leurs droits ou ne pas les protéger. Les lieux où les étrangers en situation d’errance sont
amenés à vivre ne doivent en aucun cas être régis par des normes d’exception et l’absence de droits ».
Aujourd’hui, la CFDA, particulièrement inquiète de l’évolution de la situation sur le terrain, vous
demande de faire cesser ces graves atteintes aux droits des personnes migrantes et réaffirme ses
revendications les plus urgentes ;
- le respect des conditions de vie des migrants : même démunis de document d’identité ou de
titre de séjour, ils ne doivent plus faire l’objet d’interpellations répétitives, de violences
physiques, de mesures de harcèlement, de dégradations de leurs biens, de perturbation
systématique de leur sommeil, etc..
- en amont, il est du devoir des parquets de contrôler le comportement des forces de police. En
aval, dès lors qu'existent des indices de dérives ou d'abus, il est de la mission de la hiérarchie
policière et des préfets de s'assurer que des enquêtes administratives soient ouvertes et menées
à bien ;
- le respect du travail des acteurs humanitaires : l’action des associations qui viennent en aide
aux exilés ne doit plus être entravée. Les obstacles administratifs, les menaces et les
intimidations à l’encontre de ces associations et des citoyens qui portent assistance aux exilés
doivent cesser ;
- les mineurs étrangers isolés doivent être protégés en étant mis à l’abri et pris en charge comme
le droit français et le droit international le prévoient ;
- les plaintes des personnes concernant des violences policières doivent pouvoir être
enregistrées ;
- les migrants, quel que soit leur statut, doivent pouvoir bénéficier d’un hébergement, d’une
aide alimentaire et d’un accès aux soins, dans le respect de la dignité humaine ;
- l’Etat et les collectivités territoriales doivent mettre en place des dispositifs d’accueil
suffisants avec des conditions décentes, notamment dans les villes situées sur le littoral.