*Résistances*
Ce que beaucoup appréhendaient vient de se produire ; Nicolas Sarkozy
l’a donc emporté au second tour des élections présidentielles. Pour
la troisième fois consécutive en l’espace de douze ans, un candidat
de la droite, aux discours et au programme radicalisés comme jamais
sur l’ensemble des questions économiques, sociales et politiques,
s’impose au terme d’une campagne où les électeurs du Front National
ont « été cherchés un par un », selon la délicate formule de celui
qui est désormais chef de l’Etat. On connaît les conséquences de
cette main constamment tendue : la banalisation sans précédent de
certains thèmes chers à Jean-Marie Le Pen. Mais le candidat de l’U.
M. P a aussi été fort des faiblesses de la gauche, de toute la gauche
qui, du Parti socialiste à la Ligue communiste révolutionnaire, n’a
pas su s’opposer efficacement à son projet et à ses ambitions. De
même, et ceci est en partie lié à cela, ces organisations ont été
incapables d’offrir des perspectives politiques claires et unitaires
au lendemain des mobilisations pourtant exceptionnelles contre le CPE
suivies d’une victoire retentissante imposée par la rue au terme de
manifestations comme il y en eut rarement. Souvenez-vous, c’était il
y a un an à peine, on croirait pourtant que des années se sont déjà
écoulées ! Souvenez-vous des espoirs immenses alors suscités !
Souvenez des attentes joyeuses qui sont nées de cette force enfin
retrouvée après plusieurs défaites importantes et douloureuses subies
dans les urnes et sur le terrain économique et social ! De ceux-là et
de celles-ci, une fois encore, les gauches parlementaires et
radicales n’ont rien su faire, par sectarisme, pour défendre leurs
intérêts d’appareil et cultiver solitairement leur petit jardin
électoral avec le succès que l’on sait puisque le total des voix
ainsi rassemblé est l’un des plus bas de toute l’histoire de la
Cinquième République. Grandiose bilan et champ de ruines. De même
pour les syndicats qui, à la veille d’un second tour pourtant
décisif, ont préféré étaler de nouveau leurs divisions le jour même
où Nicolas Sarkozy réitérait ses attaques contre le monde du travail,
comme on dit.
Les dirigeants de ces différents partis et organisations affirment
être au service des jeunes, des salariés, des retraités, ils
prétendent vouloir défendre le service public, le pouvoir d’achat,
combattre les inégalités et les discriminations sexuelles, raciales
et religieuses. Qu’ils le prouvent en organisant, ici et maintenant,
sans attendre les élections législatives, moins encore les prochaines
présidentielles, la résistance contre la politique réactionnaire et
revancharde de cette majorité. Qu’ils le prouvent en mettant leurs
militants et leur expérience au service de cette indispensable
résistance. Pour défendre ceux qui sont stigmatisés parce qu’ils sont
réputés « ne pas se lever tôt » car nul employeur ne les attend
depuis des semaines, des mois, des années, résistance ! Pour défendre
ceux qui, méprisés, humiliés, discriminés et relégués dans des
banlieues laissées en déshérence, sont voués au Kärcher élyséen et
livrés en pâture à une fraction de l’opinion publique raciste et
xénophobe, résistance ! Pour défendre ceux dont les salaires sont
indignes et à qui la seule perspective désormais offerte est « de
travailler plus pour gagner plus », c’est-à-dire perdre davantage
leur vie à tenter de la gagner en vain, résistance ! Pour tous les
travailleurs précaires qui n’ont d’autre avenir que de le demeurer et
de s’inquiéter constamment de lendemains qui depuis longtemps ne
chantent plus, résistance ! Pour tous ceux qui sont victimes d’une
insécurité professionnelle et financière croissante qui les laisse
sans perspective, sans autre perspective du moins qu’une crainte sans
fin, résistance ! Pour tous ceux qui considèrent que les avancées
sociales ne sont pas des privilèges mais des acquis précieux
péniblement conquis par des femmes et des hommes qui se sont battus
avec obstination et courage pour améliorer leur condition de travail
et de vie, résistance ! Pour tous ceux qui jugent, contrairement aux
mensongères déclarations du candidat aujourd’hui président, que la
colonisation n’a pas été synonyme de civilisation comme il l’a
déclaré à l’occasion d’un meeting tenu à Toulon au mois de février,
résistance ! Pour tous ceux qui ne veulent pas de medias et d’une
justice mis au pas, résistance ! Pour tous ceux qui n’aiment pas
cette France désormais sarkozienne et qui ne veulent ni ne peuvent la
quitter, résistance ! Pour tous les Musulmans qui « égorgent », selon
la rhétorique indigne et islamophobe de l’actuel président, « des
moutons dans leur baignoire », résistance ! Pour les étrangers en
situation irrégulière et leurs enfants scolarisés, pourchassés,
raflés parfois, tous menacés d’expulsion en violation d’une
Convention internationale – celle sur les droits de l’enfant –
pourtant ratifiée par la France et de dispositions nationales
sanctionnées par le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du
droit d’asile, résistance ! Résistance et désobéissance civile car
les diverses mesures prises à leur encontre sont aussi légales
qu’elles sont illégitimes.
Olivier Le Cour Grandmaison.
Enseignant à l’Université d’Evry-Val-d’Essonne. Auteur de «
Coloniser. Exterminer. Sur la guerre et l’Etat colonial », Fayard, 2005.